Un joyau du XVIIIe dans un écrin du XXIe…

C’est un travail d’orfèvre que viennent d’achever Malou et Denis Elbel. A Schnersheim, fierté pour ce couple attaché aux maisons traditionnelles alsaciennes.

D’emblée, Denis Elbel prévient : «nous avons restauré cette maison, nous ne l’avons pas rénovée…»
La nuance est subtile et montre combien cet amoureux des maisons alsaciennes est attaché au respect du patrimoine. Ce que la visite confirmera bien vite…

Membre de l’ASMA, Association pour la sauvegarde de la maison alsacienne, Denis Elbel et son épouse ont mené un chantier colossal depuis 2010.

Modifié et réaménagé plusieurs fois par le passé, comme beaucoup de maisons alsaciennes, le corps de ferme traditionnel s’élève sur une cave datant de 1717, «ce que confirme une inscription trouvée sur un linteau en grès ». En 1781, les anciens propriétaires achètent le haut de la maison à Schwindratzheim. Elle y est alors démontée et remontée dans le Kochersberg. Mais rien ne permettait jusqu’à lors de connaître l’âge des colombages, si ce n’est la dendrochonologie, un procédé scientifique qui permet, à partir d’échantillons, de dater les pièces de bois à partir des anneaux de croissance… 1724 pour certains éléments du poutrage, «ce qui laisse à penser que la maison date de 1730» précise ce passionné.

Lorsqu’il s’engage dans les travaux sur cet édifice ayant appartenu à la famille de son épouse, Denis Elbel s’entoure d’architectes – Jean-Christophe Brua et Claude Eichwald- et d’une cinquantaine d’artisans aguerris à ce type de restauration. Et comme le couple a sollicité la Fondation du patrimoine pour l’obtention d’un label fiscal, «nous avons suivi les recommandations d’un architecte des monuments de France qui devait donner son accord pour le projet».

Dès le départ, Denis Elbel voulait donner un caractère exemplaire à cette restauration, «montrer qu’il était possible de combiner respect du patrimoine et des normes actuelles». Malgré les contraintes, sa maison obtiendra le label BBC, une prouesse pour une telle bâtisse. « Le défi était par exemple de poser un double vitrage sur les fenêtres qui ne soit pas visible de l’extérieur. Nous avons trouvé un artisan qui accepte de créer un prototype de fenêtre pour le soumettre à l’ABF» se souvient M. Elbel, originaire de Kleinfrankenheim.

A partir de photos anciennes, le couple avance dans le projet, «en y mettant de l’huile de coude ! Nous avons beaucoup travaillé sur ce chantier, enlevant des planchers, des cloisons, vidant entièrement une bâtisse habitée depuis près de 300 ans ! Vous imaginez !»

Ingénieur de formation, Denis Elbel savait où il voulait aller et s’est donné le temps, et les moyens de mener à bien ce challenge. Le coût de ce chantier ? C’est la seule question à laquelle ce passionné ne donne pas de réponse précise. Le choix du couple : donner les moyens à leur rêve. Et on adhère !

Le plafond peint a été restauré par Claire Meyer-Seiller, peintre décorateur, grand prix régional des métiers d’art.

Les planchers sont remis à neuf, l’isolation finalisée à partir d’un procédé nouveau à base de chanvre et de chaux. Les enduits sont à base de terre, avec des teintes différentes selon les pièces. Un Kàchelofe neuf trône dans l’entrée, «une prouesse pour le jeune poêlier du Sundgau qui n’avait jamais encore réalisé une telle pièce pour une maison BBC». D’un point de vue technique en effet, les deux sont contradictoires, mais c’est sans compter sur la faculté à mobiliser les énergies de Denis Elbel, «et nous avons trouvé une solution !» Un système de ventilation à double flux est installé «pour assurer une ventilation constante de la maison. Et ça fonctionne!»

Le chauffage central alimenté avec des pellets est installé en sous-sol, dans un local creusé dans le sol. «Nous voulions une maison moderne, avec un confort contemporain» explique le propriétaire. Les radiateurs ? Invisibles, car placés dans les plinthes…«Grâce à l’ASMA, j’ai pu entrer en contact avec des professionnels et aussi avec des personnes qui avaient déjà restauré des maisons anciennes. Au fil du chantier, j’ai trouvé de nouvelles techniques, évolué dans mes idées» confie Denis Elbel.

La Stub et ses boiseries, mais aussi le bureau et son torchis apparent sont impressionnants et émouvants. «Sur certaines poutres, nous avons retrouvé les trous de flottages. Acheté dans le Kinzigtal, ces troncs étaient maintenus ensemble grâce à des liens passés dans ces trous. Sur le torchis, on a retrouvé les marques laissées par nos ancêtres pour que l’enduit adhère: c’est très émouvant !»

Le splendide Kachelhofe au rez-de-chaussée

Dans l’entrée, le plafond peint datant de 1730 a été remis au jour «et restauré avec soin, à l’identique ». Motifs végétaux et animaux fantastiques invitent à la rêverie et à l’admiration… Pour gagner de la lumière, un vitrage a été placé derrière le colombage apparent au 1er étage, «un élément primordial pour nous ». Tout comme cet escalier monumental «qui va de la cave au grenier et qui donne une perspective impressionnante! ». Véritable chef d’oeuvre, il a été construit en chêne massif, «avec une main courante de chaque côté. Le travail des artisans est remarquable!»

Au grenier, la charpente témoigne du savoir faire des professionnels du XVIIIe siècle, de la qualité des matériaux utilisés et de l’attachement des générations successives à ce patrimoine. Ultime émotion lors de la visite : par la dernière lucarne du pignon ancestral, un autre monument pointe son doigt dans le ciel d’Alsace : la cathédrale de Strasbourg…

Christine Nonnenmacher