Le Dischel-Loch : cet inconnu…

On le croise au détour des grandes fermes du Kochersberg, mais la plupart des gens ignorent ce pour quoi il a été conçu ; le Dischel-Loch est le plus souvent pris pour un œil-de-bœuf, voire un simple trou d’aération.

Par ailleurs, il semble totalement inconnu dans les autres régions d’Alsace, en particulier dans le Pays de Hanau et dans le Sundgau, régions pourtant bien mieux préservées que le Kochersberg.

Alors, de quoi s’agit-il ?

Le Dischel-Loch se présente sous la forme d’une grosse pierre de taille insérée en partie basse du mur arrière d’une grange ou d’un Schopf, pour y ménager une ouverture (s’Loch) permettant d’y faire passer le timon (d’Dischel) d’un chariot ; ces ouvertures sont souvent groupées par deux ou trois, et sont implantées à environ un mètre du sol.

Quel est leur usage ?

Les fermes du Kochersberg utilisaient de grands chariots à deux essieux, tirés par deux chevaux, et donc équipés d’un long timon central fixe : au moment des récoltes, lorsque l’orage menaçait, il fallait pouvoir mettre rapidement à l’abri le chariot et son chargement de blé ou de foin. Le Dischel-Loch permettait, une fois les chevaux dételés, de pousser le chariot jusqu’au fond de la grange, puisque le timon pouvait passer au travers du mur ; il dépassait alors dans le jardin ou le verger.

Ma mère, née en 1923, se rappelle bien de cette manœuvre tout à fait courante avant l’arrivée des tracteurs. Le Schopf de la ferme familiale à Kleinfrankenheim est équipé de trois de ces “trous à timons”, ce qui permettait de ranger plusieurs chariots côte à côte.

Que l’usage de ce dispositif soit inconnu outre-Vosges n’est pas surprenant. En effet, dans le monde latin, le transport de marchandises se faisait traditionnellement par tombereaux : ces charrettes à un seul essieu étaient courtes et attelées à un seul cheval : il n’y avait donc pas de timon, mais un brancard, et le petit gabarit de ces charrettes permettait de les garer facilement.

Dans le monde germanique, on utilisait essentiellement les chariots à deux essieux équipés d’un timon central ; l’usage du « Deichselloch » devait être répandu, puisqu’on en trouve la définition dans les vieux dictionnaires du Palatinat ou de Hesse : « Loch in der hinteren Scheunenwand durch das die Deichsel hindurchgeschoben wurde »[1].

On trouve même dans le droit germanique une loi, das « Deichselrecht », qui en règlementait l’usage lorsque la parcelle de l’autre côté du mur appartenait à un voisin : dans ce cas, le voisin avait le droit d’utiliser le mur de la grange pour y entreposer ou y suspendre échelles, roues et autres outils à l’abri de la pluie sous le débord de toiture.

 
Kleinfrankenheim

Ci-joint quelques images de Dischelloch prises à Truchtersheim, Schnersheim, Kleinfrankenheim et Gimbrett [2]seul cas, à ma connaissance, d’implantation dans un mur en colombages.

Gimbrett

Cliquer sur les photos pour les agrandir. Photo de droite : l’amorce de perçage triangulaire et le trou dans le poteau attestent que le bois a été transporté par flottage. Ces trous permettaient la passage des liens pour confectionner les radeaux de troncs à transporter.

J’imagine qu’il y en a ailleurs, et pas uniquement dans le seul Kochersberg ; je suis preneur de toute information à ce sujet, par mail à denis@elbel.fr.

Denis ELBEL – Août 2015

[1] « Orifice dans le mur arrière de la grange permettant au timon de le traverser. »
[2] NDLR : Grange actuellement menacée de démolition pour faire place à un garage…